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René Nelli (1906 - 1982) Du folklore à l’anthropologie.

Descendant d’une longue lignée de sculpteurs et d’artisans florentins arrivés en France à la fin de la Renaissance René Nelli eut la jeunesse studieuse et sereine qu’offrait encore la province. Fils d’un collectionneur « antiquaire » passionné par tous les arts, il lui est donné dès la fin de sa classe de terminale d’être accueilli dans la chambre de l’écrivain Joë Bousquet, cénacle dans lequel se rencontrent philosophes, poètes, peintres…. Suivent des études en Sorbonne puis à Toulouse, les contacts avec les surréalistes et la publication des premiers textes poétiques. Après avoir entamé, en 1931, une brève carrière universitaire comme chargé de cours à la Faculté des Lettres de Zagreb il revient comme professeur de lycée en France, à Maubeuge, et rejoint dès 1935 son Languedoc natal où il restera jusqu’à sa mort. En 1938, après avoir commencé à explorer des sujets auxquels il restera fidèle tout au long de son œuvre de poète et de philosophe, le catharisme, la littérature des troubadours, l’amour courtois, l’occitanisme, il ouvre, avec la revue Folklore, un nouveau champ d’investigation qu’il présente ainsi dans l’incipit du premier numéro : « Il devient de plus en plus évident qu’on ne pourra connaître la structure profonde de l’esprit que lorsqu’on aura éclairé les mécanismes psychologiques inconscients selon lesquels les mythes, les légendes, les coutumes – souvent absurdes en apparence – se fixent dans la conscience collective. Tandis que l’Ethnographie nous livre les secrets de la mentalité primitive, c’est au Folklore qu’il appartient de nous faire pénétrer dans l’âme populaire ». Le projet est ambitieux et déborde largement du cadre conventionnel des inventaires et des descriptions techniques de la plupart des revues ethnographiques locales. Il importe d’ailleurs de souligner que, dès le numéro 11 de janvier 1939, René Nelli remplace le titre initial de Folklore Aude, trop restrictif, par celui de Folklore, pour mieux souligner la dimension intellectuelle de la revue et sa participation aux débats nationaux. L’heure, en effet, est à la définition de la discipline et aux échanges de points de vue. Les membres du Groupe Audois d’Etudes Folkloriques (GAEF) sollicitent les avis de Georges-Henri Rivière, d’André Varagnac, d’Arnold Van Gennep, et engagent des débats avec eux, sur l’élaboration, par exemple, des cartes folkloriques et des dictionnaires, lexicographiques et ethnographiques. Si Folklore publie quelques articles de Varagnac, la revue apparaît cependant comme résolument moderne, plus dans la lignée des travaux de Van Gennep que dans celle des folkloristes régionalistes. Pendant et après la guerre de 1940 elle se démarquera également de la vision passéiste et nationaliste du folklore prônée par Pétain. Membre de l’équipe fondatrice René Nelli continua toute sa vie à s’en occuper, y écrivant régulièrement, collectant des articles, recrutant de nouveaux collaborateurs, assurant le secrétariat de 1944 jusqu’à sa mort en 1982. Le mécène et fondateur en titre de la revue a été le colonel Fernand Cros-Mayrevieille, correspondant de la Commission des Monuments Historiques et petit-fils de Jean-Pierre Cros-Mayrevieille, le sauveteur de la Cité de Carcassonne. Il sut agréger autour de lui de nombreuses personnalités du monde intellectuel local, des enseignants, comme Fernand Courrière, Henri Féraud, Pierre et Maria Sire, Francis Vals, des poètes comme Joë Bousquet, Jean Lebrau, René Nelli, des artistes comme le peintre Paul Sibra, des archéologues comme Michel Jordy et Odette Taffanel, des linguistes comme Paul Alibert, des historiens, des érudits locaux, des membres de sociétés savantes… Des gens, venus d’horizons différents et qui, sans lui, n’auraient jamais eu l’idée de se retrouver dans le Groupe Audois d’Etudes Folkloriques. A ce propos, citons encore la « Présentation » de René Nelli : « Dans un domaine aussi complexe que celui que nous abordons, il va sans dire que nous ne pouvons envisager d’autres méthodes que celles qui régissent le travail collectif. C’est un caractère commun à toutes les sciences récentes qu’elles réclament un travail de classification souvent ingrat qui, par son étendue même, exige l’appoint de toutes les bonnes volontés. Les individus isolés, oeuvrant chacun de leur côté, ne sauraient qu’égarer leurs efforts à vouloir embrasser, dans leur ensemble, les mille aspects de la vie populaire. Que l’on veuille bien considérer qu’il y a un Folklore correspondant à chacun des besoins fondamentaux de l’homme et que c’est par conséquence toute l’humanité qui est contenue, avec ses passions, ses superstitions, sa sagesse, sa mystique, dans l’immense littérature parlée. Le Folklore ne pourra être, de toute évidence, que l’œuvre de tous. Dès les premiers numéros René Nelli participe à ce projet collectif en traduisant des contes populaires recueillis par plusieurs informateurs. En 1942 il signe avec Louis Alibert un article sur « Les croyances populaires en Languedoc au 17ème siècle » comprenant des extraits traduits et commentés du Tableu de la Bido del parfet Crestia du Père Amilha, (17ème siècle), des Opuscules Provençaux (15ème siècle), des Ordonansas del libre blanc (16ème siècle). En 1947 il publie avec Max Savy une « Enquête sur la magie dans le Chalabrais ». Cet exemple montre bien le fonctionnement en réseau du Groupe Audois d’Etudes Folkloriques qui avait dans la plupart des villages un ou plusieurs correspondants qui répondaient aux enquêtes et aux questionnaires publiés dans la revue. René Nelli ne rechigne pas non plus aux tâches de collectage et de classement, même si, de fait, il effectue lui-même très peu d’enquêtes de terrain, se contentant souvent de recueillir quelques témoignages circonstanciels, dans la Montagne Noire et à Bouisse, le village des Corbières occidentales où, à partir des années 1950, il passe les mois d’été. Au fil des années et après la disparition de plusieurs des acteurs des débuts, Folklore ressemblera plus à un désuet bulletin de société savante qu’au dynamique et ambitieux organe initial. René Nelli, pourtant, n’abandonnera pas, continuant à faire vivre la revue, coûte que coûte, rédigeant lui-même, parfois sous des pseudonymes, de nombreux articles, acceptant et même sollicitant, le concours d’érudits locaux aux préoccupations intellectuelles assez différentes des siennes. Dans les années 1960, il réussit à trouver de nouveaux collaborateurs de qualité, Charles Joisten et Jean Guilaine par exemple, qui seront rejoints dans les années 1970, par quelques uns des étudiants qui ont suivi ses cours d’ethnographie à Toulouse, Claudine Vassas, Daniel Fabre, Jean-Pierre Piniès… La revue semble prendre un nouveau souffle mais sa maquette reste vieillotte et elle ne survivra que quelques mois à la mort de René Nelli. Cet attachement à Folklore, pour ne pas dire cet acharnement à en maintenir la publication, alors qu’il était reconnu internationalement pour son œuvre de philosophe et de poète, fait la preuve de l’intérêt qu’il portait à la discipline et de la place qu’elle occupait dans sa vie intellectuelle, même si, lorsqu’on regarde sa longue bibliographie d’ouvrages on n’est d’abord pas frappés par la quantité de sa production ethnologique. Du moins en ce qui concerne les livres, car il a publié au contraire, beaucoup d’articles, surtout bien sûr, dans Folklore. Mais si l’on s’en tient aux ouvrages, recueils de poèmes, textes philosophiques, études sur le catharisme, sur la civilisation et la littérature médiévales, sur l’érotique, essais sur le régionalisme et l’Occitanie, on n’en trouve qu’un seul que l’on puisse qualifier d’ethnologique : Le Languedoc et le Comté de Foix. Le Roussillon, édité chez Gallimard en 1958 dans l’éphémère collection « Les Provinces Françaises », et que le quatrième de couverture définit ainsi : « Ce livre […] n’est ni un ouvrage d’histoire ni une étude de géographie humaine, tout en se rattachant par certains côtés à ces deux disciplines ; il est consacré à l’ethnographie de trois de nos provinces traditionnelles. […] L’interprétation sociologique de l’auteur permet, chaque fois qu’il est possible, de situer ces faits, en apparence discontinus et gratuits dans le cadre plus large de l’anthropologie culturelle. Seul un ethnographe, rompu aux patientes investigations sur le terrain et ayant vécu de longues années dans la familiarité des populations, pouvait synthétiser, dans un nombre de pages relativement restreint, outre ses observations propres, celles que les folkloristes locaux et les enquêteurs nationaux ont accumulés depuis plus d’un demi-siècle. Sans doute fallait-il qu’il fut romaniste pour tenter de rattacher le présent au passé par l’étude des dialectes et la chronologie approximative des divers niveaux de culture où s’enracinent les traditions occitanes ». On reconnaît là, dans l’exposé de ses compétences pluridisciplinaires, plusieurs des thèmes qui parcourent, hors du strict champ de l’ethnographie, l’ensemble de l’œuvre de René Nelli : civilisation romane, morale, esthétique, magie, religion… Même si l’essentiel des données a d’abord été publié dans la revue Folklore, leur regroupement et leur mise en perspective dans ce livre éclairent l’ambition de ce chercheur hors du commun pour qui la collecte d’informations n’est pas une fin en soi, mais un début, un moyen de constituer un corpus de travail. Quelques lignes d’un article de René Nelli paru en 1959 dans Les Lettres Françaises « Ethnographie universelle et recherches locales », explicitent au mieux le syncrétisme qui est au cœur de sa démarche intellectuelle et qui fait l’originalité de son approche ethnologique : « …l’ethnographie n’a de sens et de valeur que si elle est totale, c’est-à-dire si elle englobe le folklore. Universelle elle l’est en droit, sinon en fait. […] Comment un ethnographe occitan pourrait-t-il – sans se condamner aux vues courtes – ignorer les cultures traditionnelles des pays qui ont été en rapport avec le sien tout au long de l’histoire : les divers folklores français, les folklores néo-celtiques, méditerranéens, arabes, etc ? En vérité, toute province est, au sens strict, un centre du monde ou, si l’on préfère un point de départ privilégié vers l’Humain, car tous les chemins « régionaux » mènent, directement ou indirectement, selon le génie de chacun, à l’Humain ethnographique » (n°774, du 21 au 27 mai 1959).

Les archives et la bibliothèque de René Nelli sont déposées aux Archives Départementales de l’Aude

Christiane Amiel Ethnopôle-Garae, Lahic-Iac. Ce texte a été élaboré à partir de la communication de Christiane Amiel Du folklore à l’anthropologie. Chemins de connaissance, à l’occasion du Colloque René Nelli ou la poésie des carrefours, Carcassonne, 21 et 22 avril 2011. (Actes à paraître).


René Nelli demeure un écrivain secret et un personnage énigmatique

Autres documents :


Bibliographie raisonnée de René Nelli

Archives de René Nelli relatives à l’ethnographie - Extrait de l’inventaire des Archives départementales de l’Aude