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CULTURA VIVA

Faiseurs de traditions des pays d’Aude et d’Occitanie

Cultura viva. Faiseurs de traditions des pays d’Aude et d’Occitanie, n’est pas tant l’aboutissement d’une recherche comme le sont habituellement les expositions du GARAE, mais plutôt la concrétisation d’orientations nouvelles, venues ces dernières années élargir le champ des préoccupations de l’Ethnopôle, et varier ses modalités d’action.

Depuis 2006, date de la ratification par la France de la convention Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, le GARAE, en vertu de son label d’Ethnopôle, compte au nombre des relais du ministère de la Culture, en charge de la mise en œuvre de cette convention. Notre projet scientifique et culturel, qui jusque là s’organisait autour de trois axes thématiques, s’est donc enrichi de ce « nouveau » volet : le PCI. En réalité, il s’agit plutôt d’un effet d’optique, car le GARAE s’est toujours intéressé à ce qui relève aujourd’hui du PCI et qui préalablement, était désigné par d’autres expressions : folklore, traditions populaires, patrimoine ethnologique. Du reste, il nous a paru important, dans le cadre même de cette exposition, de rendre compte de cette histoire du PCI avant le PCI, et de rappeler combien, en la matière, l’Aude a compté et compte encore dans l’attention portée aux faiseurs de traditions.

Si donc le PCI n’a rien d’absolument nouveau, il n’introduit pas moins quelques nuances dans l’horizon du patrimoine. Passons sur l’adoption du syntagme unesquien (patrimoine culturel immatériel) et de son acronyme PCI, quelque peu abscons, pour souligner l’une des conséquences essentielles de la ratification de la convention par la France. Jusqu’alors, la législation française n’avait jamais pris en compte, dans sa pratique réglementaire, les biens culturels relevant de l’immatérialité. C’est désormais le cas, ce qui suppose, dans le champ de l’administration de la Culture, l’apparition d’une catégorie d’action publique nouvelle, avec tout ce qui en découle : programmes de sauvegarde, campagnes d’inventaires, candidatures Unesco, projets de valorisation, opérations de sensibilisation,… soit autant de procédures qui nécessitent des compétences ad hoc. Les universités ont rapidement répondu à ce besoin, en intégrant dans les maquettes de leurs masters des enseignements en PCI. C’est plus particulièrement le cas des masters Patrimoine ou encore des masters Ethnologie, comme, parmi ces derniers, celui délivré par l’Université Paul Valéry à Montpellier [1]. Cependant un seul master en France s’avère totalement dédié au PCI, à savoir le master EEPI, ouvert en 2016 par le département d’Anthropologie de l’Université Toulouse Jean Jaurès [2] . Dès le départ, le GARAE a été partie-prenante de cette offre d’enseignement unique, et ce doublement : d’une part, par l’organisation annuelle, en janvier, des Ateliers PCI de l’Ethnopôle qui réunissent dans nos locaux, une semaine durant, les étudiants toulousains et montpelliérains ; d’autre part, par l’animation de séminaires, au cours du premier semestre de chaque année universitaire, sur le site de l’université, au Mirail. Le rappel de cette forte implication est loin d’être hors de propos, dans la mesure où c’est justement dans le cadre de l’un de ces séminaires, Patrimoines et musées : approches anthropologiques, que Cultura viva dans sa version régionale a été en partie pensée (ou plutôt repensée). Traitant de la place faite au PCI dans les musées, ce séminaire part du constat d’une incompatibilité a priori entre PCI et musée, alors même que tout pousse le musée à jouer un rôle de premier plan dans la valorisation et la médiation de ce patrimoine. Au fil des séances, sont abordées les questions que pose le PCI au musée : comment composer avec la nature insaisissable du PCI, son caractère « immatériel », pour exprimer et représenter correctement ce patrimoine ? Comment échapper au travers « conservatoire » que peut induire toute mise en exposition, et juguler le risque de fossilisation et d’artificialisation si peu compatible avec l’idée d’un patrimoine vivant, évolutif dans le temps, variable dans l’espace ? Comment, enfin, tenir compte du renversement de l’autorité à désigner ce qui fait patrimoine que suppose la définition unesquienne du PCI ? Autrement dit, comment donner voix au chapitre aux communautés, détentrices de ce patrimoine, et créer les conditions d’une réelle participation, d’une muséologie et d’une médiation inclusives ? En 2017, le souci de confronter les étudiants à un cas pratique a coïncidé avec la volonté du CIRDOC de refondre son exposition itinérante Cultura viva, montée en 2013 à l’occasion du dixième anniversaire de la Convention Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Confrontant cette première version avec d’autres initiatives du même genre en France et à l’étranger, le séminaire a permis l’ébauche d’un cahier des charges visant l’élaboration d’un propos plus problématisé, davantage occupé à susciter l’étonnement, l’interrogation et la réflexivité du visiteur. Le propos a par la suite été abouti et mis en forme par deux masterants de la promotion EEPI 2017-18, Emma Trédez et Maxime Garcia-Tarac, accueillis par le CIRDOC dans le cadre d’un stage conventionné. L’exposition finalisée a été présentée pour la première fois en mai 2018, lors du deuxième Forum culturel eurorégional consacré aux Cultures populaires en dialogue : Occitanie, Catalogne, Baléares, organisé par le CIRDOC et ses partenaires au Pont du Gard. Le dispositif conçu par les deux jeunes commissaires entend permettre aux différents publics d’appréhender la notion de patrimoine culturel immatériel de façon concrète, par l’exemple, en mettant en avant les faiseurs de traditions. À travers eux, se donnent aussi à voir la richesse du PCI en Occitanie / Pyrénées-Méditerranée, ses spécificités autant que son caractère inclusif, lequel est perceptible à travers les similitudes observables d’une région à l’autre, voire d’un pays l’autre. Donner ainsi à découvrir la notion de PCI et ce qu’elle recouvre, c’est amener chacun à réaliser qu’il hérite, porte, crée ou recrée et lègue ce patrimoine. C’est aussi montrer la voie, en tant que bonne pratique de sauvegarde, afin de communiquer ce goût de l’action et de la transmission dont l’exposition elle-même procède.

Son itinérance conduit aujourd’hui Cultura viva à la Maison des Mémoires, où son accueil ne pouvait se concevoir sans que soit proposée aux visiteurs, d’ici ou d’ailleurs, un regard sur les occurrences audoises du PCI. Invitent à cette découverte (ou redécouverte) panneaux et extraits vidéo, ainsi qu’une borne audio. Cette déclinaison ne vise en aucun cas l’inventaire exhaustif de ce qui se rapporte au PCI dans ce département. Notre ambition n’a pas été celle-là, ne serait-ce qu’à considérer les contours flous de cette patrimonialité, en deçà et au-delà des définitions décrétées par l’Unesco. Il est d’abord des PCI ignorant d’eux-mêmes. Qui en effet, à Sallèles-Cabardès, a conscience de relever du PCI, tandis que, dans la nuit froide de la Sainte-Agathe, il sonne les cloches afin de préserver le village de la grêle tout au long de l’année ? Qui encore, participant au concours de jeu de quilles, à Bessède-de-Sault, le jour de l’Assomption, se sait incarner cette forme de patrimonialité ? Il est à l’inverse des occurrences qui débordent du PCI tel que conçu par l’Unesco, comme typiquement les langues régionales. L’instance onusienne les exclut des expressions du PCI, ne leur reconnaissant qu’un rôle véhiculaire, alors même qu’elles figurent dans la Constitution de notre République, comme « apparten[ant] au patrimoine de la France ». Entre culture au sens anthropologique du terme et Culture au sens de « culture instituée », entre doctrine unesquienne et retraductions nationales ou locales, le PCI peut faire douter de lui-même. Mais cette difficulté nous a moins rebutés que nous a stimulés le souci d’accorder nos violons à ceux du CIRDOC, pour faire état de la diversité de ce PCI, dans ses formes spectaculaires comme dans ses manifestations ordinaires, des fonctions sociales que ses expressions remplissent, des ressorts de créativité qui président à l’apparition ou à la réinvention de ses occurrences, de sa fragilité aussi, face aux aléas de l’histoire. Le propos, loin de célébrer l’identité audoise dans son irréductible singularité, entend plutôt suggérer comment le PCI participe de cet art de la différence qui n’appartient en propre à aucune société, et dont procède, de fait, l’infinie diversité des cultures et sous-cultures. Ou, pour le dire autrement, comment ce « nouveau » patrimoine conforte ce désir d’être soi qui fait signe de notre humanité et qui, tout en nous éloignant des uns, nous rapproche des autres. De même que l’exposition ne saurait verser dans l’apologie autocentrée des localismes, elle se garde d’entonner le refrain de la déploration d’un monde en voie de disparition ; au contraire, nous avons à cœur de montrer la vie de ce patrimoine, parfois menacé, certes, mais toujours vivant dans le renouvellement perpétuel de ses occurrences.

Notes :

[1] 1 https://cales-new.univ-montp3.fr/fr...

[2] 2 http://www.univ-tlse2.fr/accueil/fo...


Exposition présentée à la Maison des Mémoires à Carcassonne
par l’Ethnopôle Garae et le CIRDOC
du 8 mars au 27 avril 2019.