L’Arbonie de Jephan de Villier.

Approchant d’une exposition de Jephan de Villiers sans savoir ce que l’on verra, le nom nu d’Arbonie annonce trois choses : que l’on entrera dans un pays, comme voyageur en Laponie, ou jadis en Pannonie ; que les arbres sont souverains du pays, au point qu’il a reçu ou tiré d’eux son nom ; enfin que leur règne végétal est bon.

L’Arbonie est un pays de légende plus vrai que nature, royaume sans âge dont le prince est un enfant, en même temps qu’un créateur de grande maturité, Jephan de Villiers. Ce créateur a peuplé l’Arbonie d’une multitude de figures à corps forestier et visage humain, ailés ou non ; il a doté son peuple de mémoire calligraphique et fragmentée, de véhicules et d’équipements de voyage, de pyramides, de trouvailles non identifiées... Avec des matières fragiles et mortes, mais qui furent vivantes ; avec des feuilles sèches, des corps-bois, des lambeaux d’écorce, des plumes, de l’amadou, des bogues, des ossements et mille autres débris d’organismes tirés du pourrissoir où meurt et se régénère une forêt ; avec de la mie de pain modelée en visages ; avec cordelettes, papier, encres, ocre, cendres, liants et des planches sans apprêt, Jephan de Villiers a donné une forme et une présence intenses au rêve d’une civilisation énigmatique. L’originalité et la cohérence de ce monde sont éclatantes, ses capacités d’évocation à longue portée, immédiat et profond l’impact émotionnel des figures, des actes et des rites mis en scène.
Pour mieux voir l’Arbonie, et déchiffrer s’il se peut ses énigmes, nous irons rencontrer, à Bruxelles où il vit, l’homme qui a imaginé et créé de ses mains le royaume. Il a répondu sans détours aux curiosités de l’ethnologue. D’où venez-vous ? D’où vient l’Arbonie ? Comment a-t-elle pris forme ? Quand la première figure fut-elle façonnée et dressée ? Ses récits ne dépouillent pas la création de son étrangeté : ils accroissent l’emprise des figures sur qui les reçoit. Une prenante familiarité relie nos connaissances sensibles, nos portages et nos usages, nos maux et nos mémoires, notre étonnement et nos espérances à l’existence sculpturale du peuple forestier.


Le 27 Janvier 2004, au GARAE,
par Claude Macherel.