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Ethnologie de la France. Les grandes enquêtes collectives

Dans les années 1960 et 1970, cinq grandes enquêtes collectives et pluridisciplinaires sont menées sur le territoire français, pour l’essentiel à l’initiative du CNRS. Elles ont, à la fois, clos la période de fondation de l’ethnologie de la France comme spécialisé et ouvert des perspectives nouvelles. Elles ont aussi impliqué les deux grandes « écoles » de l’anthropologie française des années 1950-1980, celles que les noms de Claude Lévi-Strauss et d’André Leroi-Gourhan cristallisent. Elles ont utilisé toutes les méthodes d’investigation existantes, y compris, pour la première fois de façon systématique, l’audio-visuel (photographie, cinéma).
En 1961, le directeur du Musée de l’Homme, Robert Gessain, demande à la DGRST (Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique) de soutenir un projet du CADES (Centre d’Analyses Démographiques Economiques et Sociales). Il s’agit d’étudier un isolat du territoire français et le choix se fixe sur Plozevet dans le Sud Finistère. Près de cent chercheurs en biologie et en sciences sociales analyseront ce village de 4000 habitants, tentant de cerner les mécanismes traditionnels du fonctionnement communautaire et d’élucider aux lumières conjointes de l’anthropologie, de la démographie, de la génétique et de l’histoire les causes de la fréquence des luxations congénitales de la hanche que l’on pouvait y observer. Plus tard venus, à partir de 1965, les sociologues, et particulièrement Edgar Morin, s’attacheront plutôt à mettre en évidence les transformations contemporaines et la complexité des appartenances sociales et territoriales.
En 1963, alors même que l’enquête sur Plozevet est en cours, le Musée des Arts et Traditions Populaires (Georges-Henri Rivière s’est, pour l’occasion, associé à André Leroi-Gourhan) propose à la commission anthropologie-préhistoire-ethnographie du CNRS une RCP, Recherche Coopérative sur Programme, centrée sur une zone d’élevage transhumant : les monts d’Aubrac. Pendant trois ans, sociologues, ethnologues, linguistes, économistes et agronomes vont s’associer pour se livrer à un véritable inventaire d’une micro-région (20 villages et 10 000 habitants) vouée au pastoralisme et en fort déclin économique et démographique. L’enquête, qui s’est déroulée de 1964 à 1968 avec quelques prolongements dans les années suivantes, est publiée en sept volumes par les éditions du CNRS entre 1970 et 1986.
En 1966, une nouvelle recherche collective est lancée, sur un terrain choisi pour être aussi différent que possible de l’Aubrac : ce sera le Châtillonnais (30 000 habitants répartis entre la petite ville de Châtillon-sur-Seine et 115 villages), une zone fortement marquée par la proximité urbaine émane là encore du Musée des Arts et Traditions Populaires et de Georges-Henri Rivière. La première année fut consacrée à une analyse globale aux plans démographiques, sociologiques, historiques et économiques qui devait préparer le terrain des ethnologues. Mais les recherches qui devaient se mettre en place à partir de 1967 se feront en ordre dispersé, sans résultat collectif, à l’exception du travail mené par le groupe de recherche sur les sociétés paysannes du Laboratoire d’Anthropologie Sociale dans le village de Minot. Sous la direction de Claude Lévi-Strauss et Isac Chiva, une enquête approfondie devait être menée de 1967 à 1975 par les « Dames de Minot » : Tina Jolas, Marie-Claude Pingaud, Yvonne Verdier et Françoise Zonabend. Cette enquête qui s’ancrait dans le village pour mieux dépasser le point de vue monographique devait marquer un tournant dans l’histoire de l’ethnologie de la France.
En 1974, deux nouvelles enquêtes collectives voient le jour.
La première, dans les Pyrénées, est à l’initiative de l’Institut Pyrénéen d’Etudes Anthropologiques, assisté de l’Université Paul Sabatier de Toulouse, du Collège de France et du Centre d’Hémotypologie du CNRS. La recherche d’ensemble est dirigée par Jean Guilaine, archéologue au CNRS. Elle se déroule dans cinq zones des Pyrénées. La zone test, qui rassemble le plus grand nombre de chercheurs, est le Pays de Sault (Aude), elle est placée sous la responsabilité de Daniel Fabre. En 1976 ce dispositif sera complété par une recherche collective, sur les Baronnies (Plateau de Lannemezan), dirigée par Isac Chiva et Joseph Goy, avec l’appui de l’EHESS. La forte présente, au départ du projet, de l’anthropologie biologique et de la génétique des populations sera finalement diluée dans des enquêtes ethnographiques de terrain dont les rendus, plus ou moins individuels, s’échelonneront tout au long des 15 années suivantes.
La seconde qui s’est déroulée en Corse, sous la direction de Georges Ravis-Giordani et Francis Pomponi, portait essentiellement sur la définition des unités sociales et territoriales dans l’île, elle aboutira à la création du Centre d’Etudes Corses.
Si l’histoire de Plozevet est aujourd’hui bien connue grâce à la publication de la synthèse d’André Burguière et du journal d’Edgar Morin et à l’initiative du CNRS qui a orchestré en septembre 2002 un retour des chercheurs sur le terrain, il n’en est rien des autres grandes enquêtes.
En réunissant, au cours de ce colloque, les principaux acteurs de l’époque on s’interrogera sur l’histoire de la discipline dans cette période charnière qui, partie de l’héritage intellectuel des grands chantiers collectifs des années 1940, voit une très nette évolution des pratiques de la recherche. La généalogie de cette évolution sera présentée. On s’intéressera aux transformations du rapport du chercheur à son propre travail qui, paradoxalement, devient de plus en plus individuel, aux évolutions des modes d’écriture de la recherche (schémas, croquis, rapports, journaux, articles, ouvrages...), aux changements et aux intrications des échelles du terrain ‘de l’enquête extensive au micro-local, de la monographie classique à l’enquête localisée), aux thèmes de recherche mis en œuvre et critiqués (l’isolat, la communauté...), aux relations avec les autres disciplines (la sociologie rurale bien sûr mais aussi la démographie et l’anthropologie physique).
Ces trois journées seront aussi l’occasion de s’intéresser à ce que sont devenues les archives de ces grandes enquêtes, de les mettre au jour et d’inciter de jeunes chercheurs à travailler sur ces corpus encore largement inexploités.

Programme

Jeudi 03 Novembre

Introduction de Daniel Fabre. Pourquoi les Grandes Enquêtes ? Emergence et évolution d’un modèle

Jean Guilaine. Les Pyrénées : biologie, sociétés, cultures. Naissance et réalisation d’un projet

Daniel Fabre, Agnès Fine, Jean Pierre Piniès. En Pays Sault : Ethnologues et autres

Rolande Bonnain. Les Baronnies : un programme interdisciplinaire

Georges Ravis - Giordani. Corse, la dernière recherche collective

Soirée publique à 21h : Dans la pensée de Jacques Ruffié

Vendredi 04 Novembre

Claude Royer. Souvenirs d’Aubrac

Françoise Zonabend. Du Châtillonnais à Minot : bricolages et inventions disciplinaires

Donatien Laurent. Plozévet vu de Bretagne : une recherche entre centre et périphérie

André Burguière. Plozévet : du programme à la synthèse

Table Ronde : Grandes enquêtes et connaissance anthropologique de la France


Journées d’études à Carcassonne, 3 et 4 novembre 2005.