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Julien Sacaze (1847-1889) et les "Spécimens comparatifs des idiomes pyrénéens"

Julien-Etienne-Léopold Sacaze est né à Saint-Gaudens le 24 septembre 1847. Son père appartient à une vieille famille de Castillon de Larboust (vallée d’Oô, près de Bagnères de Luchon), ce qui explique qu’ « il tenait donc par des racines profondes à ce vieux sol du Comminges qu’il a tant aimé » (conférence donnée par Raymond Lizop à Bagnères-de-Luchon le 6 septembre 1947, pour les fêtes du centenaire de la naissance de Julien Sacaze et du 25e anniversaire de la Société Julien Sacaze de Luchon).

Il fit de brillantes études, reçu bachelier avec dispense d’âge à seize ans, études de philosophie et de théologie au séminaire d’Issy, puis des études de droit à Toulouse, à l’issue desquelles, il s’inscrit comme avocat au barreau de Saint-Gaudens en 1872. Retour au pays natal donc.
En 1877, il devient secrétaire du conseil de l’Ordre des avocats et sera élu bâtonnier (haute dignité juridique) par ses pairs en 1888.
En 1877, il épouse Gabrielle Sapène, qui appartient à une ancienne famille luchonnaise. « Ce mariage acheva de lui donner la sécurité et l’indépendance nécessaires aux études désintéressées » (Raymond Lizop).

Julien Sacaze, archéologue amateur

Bien installé par son mariage, Julien Sacaze partage alors son temps entre Saint-Gaudens où il est avocat, Luchon, sa résidence d’été et le centre de ses investigations érudites, notamment archéologiques et épigraphiques, et Toulouse, où il est en contact avec le monde savant et universitaire. Toulouse détient, en effet à l’époque, le monopole de l’activité savante du département, (activité savante entendue au sens de sociabilité érudite), de plus, Toulouse est la ville-siège de l’éminente et prestigieuse Société archéologique du Midi de la France, créée en 1831 (marquis de Castellane, chevalier Du Mège...).
Julien Sacaze n’avait cessé, en effet, de s’adonner à l’histoire, la géographie et surtout l’archéologie, que ce soit au séminaire ou lors de ses études de droit.
Féru d’archéologie, (la science de la préhistoire est en pleine émergence). Julien Sacaze participe avec Edouard Piette (préhistorien de la 2e moitié du XIXe) à de nombreuses prospections et fouilles archéologiques dans les Pyrénées, avec des découvertes notables telles, en 1875, les cercles de pierre (cromlechs) de la montagne de l’Espiaup ; en 1877-1878, les tumuli du plateau de Lannemezan, les sépultures à incinération du premier âge de fer dans la plaine de Rivière, au Sud-ouest de Saint-Gaudens ; en 1879, le cimetière gallo-romain de Garin, etc. Découvertes qui donnent lieu à des collections personnelles d’objets, des communications dans le cadre de congrès de sociétés savantes et des publications.

Julien Sacaze, épigraphiste patenté

La transition entre ses deux activités, l’archéologie et l’épigraphie, se fait en 1880, date à laquelle Julien Sacaze entreprend avec sa femme un voyage en Italie.
C’est en effet au cours de ce voyage que se révèle à ses yeux la science épigraphique, science neuve également puisque le mot "épigraphie" apparaît en 1838, "épigraphiste" en 1870.
De retour à Saint-Gaudens, devenu membre correspondant du ministre de l’Instruction publique et auxiliaire de la Commission géographique de l’ancienne France, il n’aura de cesse de compléter par ses travaux d’épigraphie l’histoire du pays pyrénéen, publiant notamment l’Epigraphie de Luchon et les Anciens Dieux des Pyrénées. Mais l’aboutissement de son œuvre épigraphique sera Les Inscriptions antiques des Pyrénées (publié à titre posthume en 1892), qui représente la première synthèse scientifique sur l’antiquité pré-romaine et gallo-romaine des régions pyrénéennes françaises et lui vaudra les palmes académiques.
Julien Sacaze y condense les résultats de ses travaux antérieurs. Et il a utilisé, rectifié, complété les travaux de ses prédécesseurs (Du Mège, Victor Cazes, Edward Barry, J.F. Bladé, notamment). Cet ouvrage, réédité en 1990, est resté un manuel de référence, précurseur de l’épigraphie scientifique. Il fut d’ailleurs nommé professeur libre de la Faculté des Lettres de Toulouse pour y professer un cours d’épigraphie spécialement créé pour lui.

Entre temps, le 31 mai 1884, Julien Sacaze fonde à Saint-Gaudens la Société des études du Comminges (arrêté préfectoral du 6 août 1885). L’ensemble des membres de la société, représentative des sociétés savantes de l’époque, est essentiellement constitué d’hommes de loi, de propriétaires, médecins et professeurs. En 1885, cette Société publie sa première livraison de la Revue de Comminges (en 130 exemplaires), avec pour sous-titre : "Bulletin de la Société des études du Comminges. Pyrénées centrales".
Julien Sacaze énonce les objectifs de ladite société (qui existe toujours) dans les termes suivants :
« En créant notre Société, nous avons eu pour but l’étude du Comminges et la publication de mémoires et de documents relatifs à ce pays, principalement au point de vue de l’histoire, de l’archéologie et des sciences naturelles (...). Le champ de nos recherches comprend toutes les localités qui, à une époque quelconque, ont fait partie du Comminges politique, religieux, administratif, financier ».
Et de déplorer : « Dans les projets de l’Assemblée constituante sur les nouvelles divisions territoriales [il est fait ici référence à la création des départements français en 1792], le Comminges formait le "département des Pyrénées-Centrales," avec Saint-Gaudens comme chef-lieu de préfecture ; pour des motifs spécieux, il a été réparti entre quatre départements : la Haute-Garonne, l’Ariège, les Hautes-Pyrénées et le Gers...N’élevons pas de plainte ! Notre pays est et sera toujours l’une des parties les plus intéressantes de ce tout indivisible et sacré, la France !  », (Julien Sacaze, avertissement du tome 1er de la Revue de Comminges de 1885)
C’est en tant que président de la Société d’études du Comminges qu’il participera à l’Exposition internationale de Toulouse de 1887 (Industrie - Agriculture - Sciences - Beaux-Arts), pour laquelle il est membre du comité d’organisation de l’“Exposition Pyrénéenne” placée sous l’égide de MM. Millas, membre de la Chambre de commerce de Toulouse et consul de France, Decomble, secrétaire général de la Société de géographie de Toulouse et Trutat, conservateur du Muséum de Toulouse.
Pour cette “Exposition Pyrénéenne”, Julien Sacaze lance une “Enquête de linguistique et de toponymie des Pyrénées” (dite depuis “l’Enquête Julien Sacaze”) présentée comme suit lors de l’exposition :

L’Enquête linguistique faite par Julien Sacaze (...) est une œuvre monumentale, infiniment précieuse pour l’étude de la linguistique et de la toponymie du Midi pyrénéen. Elle embrasse toutes les communes des départements de : Ariège - Aude - Hte-Garonne - Gers - Landes - Basses-Pyrénées - Htes-Pyrénées - Pyrénées Orientales. Pour chaque commune, Sacaze avait demandé à l’instituteur de lui fournir les éléments suivants :

- 1) la traduction dans l’idiome local de 2 textes folkloriques, la légende de Barbazan et la légende de Tantugou

- 2) la liste des noms de lieu

- 3) la carte.
Les exemplaires présentés montrent les divers aspects de ce travail
”.

Au lendemain de cette Exposition, le 17 avril 1888, Julien Sacaze fonde à Toulouse, en collaboration avec son ami le docteur Félix Garrigou, l’Association pyrénéenne (autorisée par arrêté ministériel du 19 mai 1888), dont le président sera M. de Quatrefages, membre de l’Institut et de l’Académie de médecine, professeur au Muséum de Paris, et le directeur, Julien Sacaze.
Selon son article 2, « l’Association pyrénéenne se propose d’étudier et de faire connaître les Pyrénées et la région pyrénéenne comprise dans les ressorts des Académies de Toulouse, Bordeaux et Montpellier, ainsi que le versant espagnol de la chaîne pyrénéenne ».
Cette Association aura pour organe de diffusion la Revue des Pyrénées et de la France méridionale, revue trimestrielle dirigée par Julien Sacaze et le docteur Garrigou.

C’est d’ailleurs dans les pages de cette revue des Pyrénées que Julien Sacaze publiera des échantillons de son enquête. Par deux fois il livrera à ses lecteurs ce qu’il appelait des « Spécimens comparatifs des idiomes pyrénéens ». Dans la première série de ces “Spécimens”, Julien Sacaze donne les indications suivantes :

« Quelques-uns de nos collaborateurs ont bien voulu se charger d’écrire, pour la Revue des Pyrénées, des études spéciales sur les idiomes du Midi de la France. A côté de ces dissertations historiques et philologiques, il nous paraît intéressant de placer des spécimens de nos divers dialectes tels qu’ils sont parlés actuellement. Les matériaux ainsi recueillis pourront servir à des études comparées sur le basque français et espagnol, le gascon, le languedocien, le catalan espagnol et français ; ils permettront aussi de classer les dialectes, les sous-dialectes et les variétés dialectales modernes qui se remarquent parfois entre des localités toutes voisines.
Nous emprunterons quelques-uns de ces spécimens au Recueil de linguistique et de toponymie des Pyrénées
 ».

La deuxième série des “Spécimens comparatifs des idiomes pyrénéens” paraîtra juste après la mort de Julien Sacaze survenue brutalement le 20 novembre 1889, il avait 42 ans.

Grand érudit donc qui a su œuvrer pour la connaissance et la reconnaissance de la région pyrénéenne, très représentatif des préoccupations et activités savantes et scientifiques du milieu intellectuel de la Troisième République, son itinéraire témoigne et participe à la fois de la naissance de plusieurs disciplines : la préhistoire, l’épigraphie et la dialectologie.

PUBLICATIONS DE JULIEN SACAZE

1877. “La Montagne d’Espiau” / MM. Edouard Piette et Julien Sacaze. Extrait du Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 31p.

1879. Association française pour l’avancement des sciences. Congrès de Paris, 1878. M. Julien Sacaze : Le culte des pierres dans le pays de Luchon. Paris, AFAS.

1880. Epigraphie de Luchon. Paris, Didier, III-93p.

1885. “Les Anciens dieux des Pyrénées, nomenclature et distribution géographique”. Extrait de la Revue de Comminges (Saint-Gaudens), 28p.

1885. “Quelques faux dieux des Pyrénées”, lecture faite à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le 25 avril 1884, par Julien Sacaze. Extrait de la Revue de Comminges, 8p.

1887. “Histoire ancienne de Luchon : Luchon préhistorique et Luchon romain. Le Culte des pierres dans le pays de Luchon”. Extrait de la Revue de Comminges (Saint-Gaudens), 7p.

1889. Histoire du Comminges, de Saint-Bertrand et Saint-Gaudens, par Armand Marrast, notes et additions par Julien Sacaze. Saint-Gaudens, L. Sabatier, 122p.

1892. Inscriptions antiques des Pyrénées. Avant-propos par M. Albert Lebègue. Toulouse, Privat, XII-576p. (Bibliothèque méridionale. 2e série ; 2). Réédition fac-sim, Toulouse, ESPER, 1990.

1892. Inscriptions antiques du Couserans. Toulouse, Privat, 28p. Réédition fac-sim, Nîmes, C. Lacour, 2001, (Rediviva).

1899. Les Tertres funéraires d’Avezac-Prat (Hautes-Pyrénées), par Edouard Piette et Julien Sacaze. Album par I. Pilloy. Paris, Masson, 26p.


Pour en savoir plus sur "l’Enquête de linguistique et de toponymie des Pyrénées"...



Auteur
Florence Galli-Dupis
Ingénieur CNRS Lahic/IIAC
2007


Julien Sacaze, avocat à Saint-Gaudens, historien et archéologue, fondateur de la "Société des Etudes du Comminges" et de la "Revue des Pyrénées", est à l’origine d’une "Enquête de linguistique" monumentale, infiniment précieuse pour l’étude des parlers et de la toponymie du Midi pyrénéen.


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