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"Là aussi se rassembleront les aigles".


Les historiens ont souligné le fait que la première guerre mondiale a coïncidé avec une explosion de la photographie qui, tout à coup, a concerné des milliers de spectateurs. Cette “ pullulation ” d’images a surtout fait l’objet d’études s’attachant à repérer les fonds et à recenser les photos les plus typiques, sans se pencher vraiment sur la rhétorique qui a présidé à leur construction. Les sujets les plus représentés sont en effet des combattants saisis dans des poses tantôt humbles, tantôt héroïques, des généraux et des officiers paradant pleins de dignité, alors que, loin de ces clichés convenus, quelques images s’attardent sur les horreurs et les désastres de la guerre, les corps mutilés et les cadavres de soldats. Nous ne possédons que peu de photos prises par les soldats eux-mêmes, soit, qu’après 1915, la censure les ait interdites, soit qu’ils aient été trop bouleversés pour en faire, soit enfin que ces matériaux n’aient pas accédé au statut d’objet de mémoire.


C’est à ce carrefour crucial, entre mémoire et oubli, que se situe le travail photographique d’Anne Montaut. La genèse en est dans une double occurrence, celle de la parole et du regard. La parole ce sont les récits ou plus souvent les silences que lui livrèrent ses deux grand-pères anciens combattants. Le regard ce sont les marques visibles dans le corps de l’un d’eux, un trou mystérieux sur la tête qui la fascinait et l’inquiétait. Voir, écouter, ressentir, essayer de comprendre, malgré le silence et le déni, c’était faire ressurgir le souvenir de la violence brutale, de la destruction, des massacres, de l’anéantissement de toute une jeunesse. Comment en rendre compte un siècle après ? Comment résoudre l’impossible équation entre l’instantané, inhérent à la photographie, et le souvenir ? Comment faire naître de l’archive, jaunie, figée et à demi évanescente, une création contemporaine ouverte sur le présent ? Anne Montaut a choisi la voie de l’imaginaire pour montrer et redonner vie à cet effacé, à ce « à jamais aboli », en mêlant ses propres fantasmes à des bribes de discours et de conventions. Et ce réel recomposé, possible, nous donne à voir, dans l’essence même de l’apparence, un monde encore plus vrai.


Anne Montaut est née à Paris en 1957. Elle vit à Bages (Aude). Après des études de sculpture aux Beaux Arts et Arts déco de Paris, elle se consacre à la photographie. Elle travaille surtout dans son atelier, photographiant les tableaux qu’elle réalise dans un castelet improvisé, parfois aussi dans la nature : « Coupes sombres », série de silhouettes découpées sur les rochers de sa région. Elle achève actuellement la série « Crucifixions » en studio et au Mexique. Principales expositions : Galerie du Château d’Eau, Festival Manifesto, Toulouse ; Centre de photographie, Lectoure ; Musée de l’Histoire Vivante, Montreuil ; Festival Off Arles ; Museo di Fotografia Contemporanea, Milano (Italie), XIIe Festival Internacional de Fotografia, Mérida (Mexique)… Commandes : « Le théâtre, coulisses d’un chantier », « La Narbonnaise en Méditerranée, Regards croisés sur un Parc naturel ».


Photographies Anne Montaut.
Création photographique contemporaine autour de 1914-1918.

Exposition présentée par l’Ethnopôle Garae à la Maison des Mémoires du 21 mars au 31 mai 2014.