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Mémoires de greniers

Phopographie Jean Belondrade
Qui n’a pas rêvé de dénicher un trésor, un objet rare et intime, une correspondance jamais révélée dans les greniers de nos grands-parents ? Reflets de notre mémoire, ils racontent l’histoire de nos maisons, de nos familles. Peut-on déchiffrer, entre mélancolie et abandon, les va-et-vient des objets à demi oubliés, à demi vénérés, qui se font les auxiliaires les plus précieux de nos souvenirs ?

C’est à cette singulière aventure que s’est attaché Jean Belondrade : il a su saisir l’infini des objets qui peuplent ces espaces à la lumière incertaine et les parfums d’éternité qui les embaument.

Font écho à ces clichés les textes, éclairants ou méditatifs de Christiane Amiel et Jean Pierre Piniès, qui s’efforcent de lire ces cabinets de merveilles à la lueur de l’ethnologie.
"Un grenier ça rassure", tel a été le premier témoignage recueilli par Jean le jour où nous avons commencé notre exploration des greniers. Premières photos dans de vieilles maisons de la Cité de Carcassonne et du hameau des Escudiés près d’Arfons dans la Montagne Noire. Dans les maisons d’aujourd’hui on ne prévoit plus de faire des greniers, on fait au mieux des combles destinées à recevoir des couches de matériau isolant, des gaines de chauffage ou d’autres subtilités techniques. Plus personne ou presque n’a l’idée de réserver un endroit pour entasser les futurs surplus de la maison. L’espace est cher et il faut le rentabiliser au maximum. A l’heure où dans les vieilles demeures la mode est à l’aménagement des combles, le grenier est un luxe incongru, démodé et inutile. Il en reste encore - mais pour combien de temps ? - qui ont échappé aux travaux de réfection, aux partages d’héritage, aux désirs de faire place nette et propre. De couloirs étroits en escaliers raides, nous sommes partis explorer ces contrées secrètes, emplies d’ombres et de mémoires, de poussière et de toiles d’araignées. Un appareil photo pour tenter de capter l’ambiance et la beauté fragile de ces espaces hors du temps, bondés d’objets, de signes, d’affects et d’histoires. Et l’écriture pour tenter d’en déchiffrer les mystères, d’en démêler les entrelacs, d’en reconstituer les strates. Le regard ne sait d’abord où se porter ni où s’arrêter, puis s’accoutumant à l’excès et l’exubérance, l’œil s’émerveille d’y découvrir, au-delà des trouvailles insolites quelques peu attendues, de plus surprenantes rencontres esthétiques et sensibles, comme ces guirlandes de Noël en partie éboulées sur un amoncellement de chaussures de femme, comme cette fleur en plastique échouée sur le dessus d’une pile d’assiettes… Les yeux d’une poupée, un manche d’outil, une chaise cassée, une boîte vide, des rideaux jadis blancs, des livres, un cahier, des pierres pour caler des poutres vacillantes, un fenestron depuis trop longtemps fermé et qui ne veut plus s’ouvrir, la poussière partout, douce, épaisse, isolante, protectrice, enveloppant tout de son aura comme pour les préserver à tout jamais du contact avec le monde trivial du temps présent. C’est pour cela peut-être qu’ "un grenier ça rassure", parce qu’il est une porte ouverte sur l’ailleurs. Dans les greniers que nous découvrons il n’y a pourtant ni grain ni fourrage, seulement un réserve de objets hétéroclites gardés comme en cas de besoin - "ça peut peut-être resservir un jour". Qu’est ce qui rassure dans un grenier ? Le mot ou la chose ? L’espace ou ce qu’il y a dedans ? L’ensemble, sans doute. Le terme, qui évoque la tranquillité de celui qui possède un grenier bien rempli et peut attendre l’âme en paix la prochaine récolte. Le lieu lui-même qui, à l’intérieur de la maison, représente une zone à part, inhabitée, un luxe de place que l’on peut dire "perdue" mais qui apparaît en même temps chargée de multiples fonctions. Le contenu enfin, qui raconte l’histoire de la bâtisse, celle de la famille et de ses membres, une sorte d’épopée patrimoniale à déchiffrer dans les strates empilées année après année, et aussi l’histoire intime des individus, jouets d’enfants, photos de mariage, vêtements, livres et cahiers, les mille et unes traces qui témoignent de la réalité de ce qui fut et n’est plus. Un lien concret avec le passé, un lien tangible, visible, mais aussi discret, qui ne s’impose pas, que l’on peut à son gré cultiver ou oublier - il suffit de pousser ou de refermer la porte … Et puis, parfois, une pensée insidieuse, volatile, mais qui revient comme un songe velléitaire : un jour il faudra ranger tout cela, nettoyer, trier, jeter, donner, vendre, garder de qui en vaut la peine et se débarrasser de tout le reste. On pourrait aménager le grenier, y faire deux ou trois pièces mansardés avec de grands Velux qui laisseraient entrer la lumière, et même une terrasse au soleil. Tout serait beau, clair, neuf, propre, un espace pour le présent, pour la vie, des chambres pour les petits-enfants, un atelier d’artiste, un bureau, une salle de jeux… Photographie Jean Belondrade
Car un grenier, c’est aussi un lieu quelque peu inquiétant. Sale, sombre, délabré, poussiéreux, voué aux toiles d’araignées et au tumulte des loirs, imprégnés de vieilleries qui l’auréolent de brumes fantomatiques, il est l’envers noir de l’espace domestique. Et c’est peut-être aussi pour cela qu’il rassure, parce qu’il absorbe et transcende en son seul sein toute les hantises, toutes les forces obscures qui habitent les vieilles demeures. Comme les banas de breishas scellées sur les toits pour éloigner les sorcières, comme le paratonnerre charger de canaliser la foudre, il protège la maison, mais de l’intérieur cette fois, et contre ses propres fantômes.















Les auteurs

Jean Belondrade... Longtemps photographe publicitaire à Toulouse, il réalise des reportages et des expositions sur la vie quotidienne dans des contrées de caractère, en Europe de l’Est, en Arctique ou en Australie.

Expositions :

Altiplano. Les gens d’en haut / Western Australia. L’or des Braves /Les anges gardiens de l’Arctique / Suites Russes. Sombre bonheur / Sinaï. Le chemin de l’exode.

avec le Parc naturel régional de la Narbonnaise : Un port au bout du Monde, Port-la-Nouvelle et Les visages du Village, Feuilla

Publications :

Vu. Familles photographiques / Jours d’été en Corbières, in La Narbonnaise en Méditerranée, regards croisés sur un Parc naturel régional, 2006 / Belondrade (anthologie), 2007.

Site : www.jeanbelondrade.fr et www.goanda.eu

Christiane Amiel est ethnologue, chercheur associé au LAHIC et membre de l’Ethnopôle Garae. A près une série d’études sur les représentations symboliques d monde naturel, elle a initié une recherche sur le nouvel usage des monuments qui a donné lieu à plusieurs publications. Elle a également travaillé sur les métamorphoses du paysage viticole.











Jean Pierre Piniès a travaillé sur les croyances et la transmission orale de la littérature et du savoir populaire. Il a ouvert depuis une dizaine d’années un champ de réflexion sur l’approche ethnologique des monuments historiques qui a donné lieu à plusieurs ouvrages sur la Cité de Carcassonne et la Chartreuse de Villeneuve-Les- Avignon.


Exposition Ethno-photographique.
Photographies de Jean Belondrade.
Conçue et réalisée par Ethnopôle Garae.
Maison des mémoires, 53 rue de Verdun à Carcassonne
du 26 juin au 20 septembre 2015.
du mardi au samedi de 9 h à 12 h et de 14 h à 18 h.